Le rite des «Voladores de Papantla»

La danse des Voladores de « Papantla » (« lieu des oiseaux bruyant » en Nahuatl) est un rituel pré-hispanique particulièrement impressionnant. Car voir sauter du haut d’un mât de 30m quatre hommes attachés par les pieds qui vont tournoyer jusqu’au sol n’est pas la première idée que l’on se fait d’une danse.

Elle a en effet une portée symbolique importante puisqu’elle représente la fertilité et l’union du Ciel et de la Terre. Si son origine remonte à plusieurs millénaires, elle fait partie des rituels indigènes encore très pratiqués au Mexique (en particulier les états de Puebla et Veracruz).

La légende, car comme toujours cela commence par une légende, veut que ce rituel soit né dans un village près de Veracruz, Totonocapan, lors d’une sècheresse particulièrement sévère. Les habitants, mourants de soif et de faim et désespérés par l’inutilité de leurs prières et offrandes, ne savaient plus comment apaiser les Dieux et faire revenir la pluie. Les anciens se réunirent donc et décidèrent qu’il fallait offrir au Dieu de la fertilité Tonacatecuhtli un nouveau rituel. Ils sélectionnèrent alors dans le village cinq jeunes hommes au cœur pur et leurs demandèrent d’aller chercher l’arbre le plus haut et le plus droit de la montagne voisine et de l’offrir au Dieu avec de la musique et de la danse.

Les jeunes, après avoir accompli l’ensemble des étapes de ce rituel et planté l’arbre dans la place principale du village, imaginèrent alors de symboliser des oiseaux et de danser dans les airs en s’accrochant à l’arbre par des cordes, tandis que l’un d’entre eux jouerait de la flûte et du tambour. Ils montèrent donc en haut du mât qu’ils avaient constitué et s’élancèrent tous ensemble. Les Dieux, impressionnés par l’audace et le sacrifice de ces jeunes gens, touchés par leur effort, accédèrent à leur requête et firent revenir la pluie en abondance, et l’année fut particulièrement fertile.

C’est depuis devenu un rituel incontournable des communautés indigènes de cette région. Et un rituel qui va bien au-delà de la danse de quelques minutes autour du mât à laquelle on a pu assister au pied de la pyramide de Cholula, puisqu’il dure en fait plusieurs jours.

Voici donc comment se déroule ce rituel sacré, où chaque étape a une symbolique importante et demande la participation de toute la communauté :

Tout d’abord il faut aller chercher l’arbre qui servira de mât, un arbre de 25 à 35m de haut, choisit par le « Caporal» des Voladores. Cela donne lieu à une première cérémonie : tout d’abord les anciens du village se rendent à l’arbre et font des offrandes au Seigneur de la Montagne ou Kiwikgolo, pour lui demander la permission de couper l’arbre. Puis les danseurs dansent autour de l’arbre en inclinant leur corps au son d’une rythmique particulière pour lui demander pardon, tout en crachant de l’aguardiente (eau de vie) en direction des quatre points cardinaux (correspondant aux quatre vents et aux quatre dieux principaux de la cosmogonie Azteque).

L’arbre est ensuite coupé, et en tombant va suivre un chemin dégagé à l’avance afin de ne pas abîmer la nature alentour. En effet dans la culture Aztèque les hommes font pleinement partie de la nature et cherchent donc en permanence l’harmonie dans leur rapport avec leur environnement (sagesse ancestrale qu’on a malheureusement perdu depuis quelques siècles).

Une fois à terre, l’arbre est élagué de toutes ses branches puis transporté par des hommes (ils peuvent être jusqu’à cent pour aider) depuis la montagne jusqu’au centre du village, avec des règles strictes pour ne pas attirer la malchance sur le village : il ne doit pas toucher le sol et est donc porté à l’aide de bambous, il ne faut surtout pas passer par-dessus le tronc et enfin, autre source de malheur (hélas partagée dans trop de cultures dans le monde), aucune femme ne doit être présente lors de l’abattage de l’arbre.

La deuxième étape de la cérémonie est l’érection du mât. Les participants attachent à son sommet une échelle de liane puis creusent un trou dans la terre et érigent un autel sur lequel ils font à nouveau des offrandes à l’arbre. Elles sont constituées en général d’une poule vivante, de tabac, de tamales (pâte de maïs et de haricots rouge cuite dans une feuille de banane – un délice), d’arguardiente et de couronnes de fleurs blanches, ainsi que de masques représentant les danseurs, afin que l’arbre protège leur vie. Une fois « planté » à nouveau, l’arbre est équipé : on accroche à son sommet la « manzana» (pomme en Espagnol) qui est un dispositif rotatif, point d’appui et d’équilibre des danseurs ainsi qu’un cadre carré, représentant encore les quatre points cardinaux, sur lequel vont s’appuyer les quatre danseurs avant de se lancer dans les airs, uniquement retenus par quatre cordes enroulées autour de l’arbre. Un cinquième restera au sommet pour jouer la flûte (qui symbolise le chant des oiseaux) et le tambour rituel (la voix des Dieux).

Le lendemain de cette cérémonie, les danseurs, qui sont « purifiés » par une période d’abstinence d’alcool et de sexe plusieurs jours avant, mangent les tamales « offerts aux Dieux » (l’harmonie avec la nature, c’est aussi ne pas gaspiller) et, au son d’un rythme particulier, revêtent leur tenue de « Voladores », une tunique blanche, couleur des oiseaux dans le ciel, un pantalon rouge, du sang des danseurs qui sont morts lors du rituel, et une tunique ou écharpe brodée. Les décorations de leur costume symbolisent la symbiose entre l’homme et la nature : leur coiffe symbolise la lune, un cercle de couleur représente l’arc en ciel qui vient après la pluie, les fleurs brodées représentent la fertilité et le printemps, les miroirs en forme d’étoile représentent le soleil et la frange dorée symbolise la pluie. Autrefois, c’est encore parfois le cas, la tenue était faite d’une parure de plume et de petites ailes, afin de représenter encore plus directement les oiseaux de la région (aigles, Quetzal, Aras, hiboux etc).

Et la dernière cérémonie, celle de la danse, peut enfin commencer. Les cinq Voladores montent au mât, enroulent les cordes à son sommet et les accrochent à leur pieds, puis le « Caporal », debout sur le sommet du mât (une étroite plateforme de 40cm de diamètre) joue une mélodie particulière et, à son signal, les quatre danseurs se projetent en arrière de concert, chacun vers un des points cardinaux, les bras étendus et le visage vers le ciel, et « volent » autour du mât en descendant au fur et à mesure que les cordes se déroulent. Ils symbolisent ainsi la pluie qui tombe du ciel et le cycle de la vie avec la Terre et les astres qui tournent autour du soleil. Ils effectuent 13 tours autour du mât , nombre qui symbolise les 13 ciels du soleil et qui, multiplié par 4 donne 52, nombre d’un cycle complet dans le calendrier Solaire Aztèque (52ans). C’est un spectacle impressionnant à voir.

De nos jours ces cérémonies ont été simplifiées, avec des mâts fixes qui sont en métal, et elles ont lieu à divers moments de l’année, en général au printemps et lors des fêtes Patronales chrétienne des villes (dans notre cas il s’agissait du Carnaval), symbole une fois de plus du syncrétisme local.

Pour la petite histoire il est heureux que ce rituel, certes dangereux pour ceux qui le réalisent, se soit généralisé pour demander de la pluie, car dans une ville comme Cholula, ils avaient un rituel autrement plus radical pour mettre fin aux sécheresses : c’était des sacrifices humains, en particulier des enfants entre 6 et 7 ans, car c’est à cet âge qu’ils étaient les meilleurs messagers pour intercéder auprès du Dieu de la pluie Tlaloc. On va donc surveiller Oscar dans quelques années…

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