Si en France les arbres se couvrent de fleurs et les oiseaux font leur nid, le printemps au Mexique est bien différent car il correspond au retour de la pluie. Mais comme chez nous cela signifie le retour de la fécondité, et cela donne donc lieu à des célébrations depuis des millénaires.
Les Aztèques et les Mayas ayant une fascination pour l’astronomie, avec une étude des astres leur permettant des calendriers précis, l’équinoxe et le solstice sont autant de temps marquant dans leur cycle, et donne lieu à des rites dont certains se sont conservés jusqu’à nos jours.
Le rite de l’équinoxe est donc encore célébré dans les principaux sites archéologiques du Mexique, dont Cholula, même si comme l’explique un des « abuelos » que j’ai rencontré son orientation en fait plutôt un site de solstice. Le site de Chichen-Itza dans le Yucatan est un des rares conçu pour que le soleil de l’équinoxe soit mis en valeur, projetant l’ombre d’un serpent de pierre sur les degrés de la pyramide, donnant l’illusion qu’il glisse doucement vers le sol.
En tous cas l’équinoxe est devenue une fête majeure ici au pied de la pyramide de Cholula, puisque la ville organise le « Festival del Equinocce » avec concerts, manèges, marchands ambulants et spectacles, au grand dam des « puristes » qui veulent y faire vivre leurs rites préhispaniques, rites auxquels on a eu la chance de pouvoir assister et dans une certaine mesure, d’y participer.
Dans la culture Cholultèque le Dieu célébré lors de l’équinoxe est naturellement Tonatiuh, le dieu du soleil et du mouvement, puisque c’est sa course dans le ciel qui rythme les saisons.
Voici comment se déroule l’hommage au soleil de l’equinoxe selon une des traditions millénaires perpétuée jusqu’à aujourd’hui. Il y a trois étapes principales :
La première est la préparation de l’autel devant lequel aura lieu la cérémonie. Ce n’est pas un autel en hauteur mais simplement des éléments déposés au sol qui « dessinent » les 4 directions et les quatre éléments avec des grains de maïs et des fleurs de différentes couleurs dont la symbolique correspond aux quatre directions : bleu, rouge, blanc, jaune. Pour créer cet autel le rituel commence par une demande à la terre pour installer l’autel, puis un salut aux quatre directions avec tambour et « concha », et une fois l’autel achevé il est « purifié » par une « abuela » (une « ancienne ») avec de la fumée de copal. Sur cet autel sont déposées des offrandes, des fruits principalement, pour que les dieux apportent fertilité à la terre et nourriture à ceux qui l’habitent. Un chemin bordé de fleurs rouges part de l’autel pour aller vers le Zénith, la cérémonie ayant lieu aux alentours de midi, et au nord sont disposés trois grands tambours.
La seconde étape peut alors avoir lieu. C’est la plus importante, celle de la danse rituelle.
Les participants à la cérémonie, plusieurs dizaines d’hommes et de femmes, sont vêtus de leurs plus belles parures, avec peintures corporelles et coiffes de plumes pour les « officiants » (qui vont mener la danse ou jouer du tambour). Les coiffes, autrefois en grandes plumes de Quetzal, aujourd’hui en plumes de faisan teintées, comprennent parfois également une tête ou un crâne d’animal, des pierres semi-précieuses et des broderies sur cuir, ce qui en fait un accessoire de plus de 5kg à porter sur la tête ! Les autres participants sont vêtus de tuniques peintes ou simplement de vêtements blancs avec ceinture et bandeau rouge, et ils portent aux chevilles des bracelets ornés de petites cosses remplies de graines qui sonnent à chaque pas.
Ils arrivent progressivement en chantant et forment une file le long du « chemin » de l’autel, où ils s’agenouillent devant des « officiantes » pour être purifiés à l’aide de la fumée de copal avant d’entrer dans le cercle de la danse. Lorsqu’un retardataire arrive (ce qui est fréquent au Mexique, sachant pourtant que la cérémonie elle-même a débuté 1h30 après l’horaire prévu) il attend en dehors du cercle qu’on vienne aussi le purifier entre les séquences de danse pour se joindre au mouvement.
La cérémonie débute par le salut aux quatre directions ainsi qu’au ciel et à la terre : les bras levés vers ce point cardinal les participants entonnent un chant pour chaque direction, puis s’agenouillent humblement pour la saluer avant de se tourner vers la direction opposée au son de la « concha » (gros coquillage percé dans lequel on souffle comme dans une corne).
Ensuite tout le monde forme un cercle autour d’une « abuela » qui accueille officiellement les danseurs et distribue les 4 « palabras » ( 4 temps de la cérémonie) à quatre « officiants » qui se mettent au centre. Et au son des grands tambours et de petites guitares, la danse, ou plutôt les danses successives, commencent, menée par l’officiant du premier temps.
Les danses, qui durent quelques minutes à chaque fois, se font sur plusieurs lignes ou en cercle, et tout le monde fait les mêmes pas, qui varient selon les danses et les rythmes, parfois lents et parfois très rapides. C’est très impressionnant de voir ce mouvement collectif si bien synchronisé. Car si chaque pas est simple (en avant, en arrière, sauter, tourner sur soi etc), puisque même des enfants participent, leur combinaison est complexe et demande des mois de pratique. Il faut aussi une certaine condition physique car il n’y a pas moins de 104 danses à effectuer (2×52, vous l’aurez deviné, c’est-à-dire 2 cycles complets selon le calendrier Aztèque). Les participants dansent donc pendant près de 3 heures sous le soleil (avec seulement une pause de 20min au milieu), dans une forme de transe collective induite par la répétition des mouvements et le son du tambour. Et c’est communicatif, car même en simple spectateur on a envie de se joindre au mouvement et de suivre la danse.
La cérémonie se termine par une danse finale très rapide et sautée puis tout le monde finit à terre. Un dernier cercle collectif permet de remercier chacun et saluer encore le soleil qui va apporter sa lumière sur la terre au cri final de « Ometeotl !» (le Dieu de la création, Yin et Yang de la mythologie Aztèque).
Enfin le dernier temps est un temps de nettoyage, où chacun, y compris tous les « spectateurs » peut à nouveau se faire purifier pour ressortir de cette cérémonie renouvelé pour la saison qui vient. La purification se fait avec la fumée de Copal ainsi qu’avec des pierres diverses que les différents « abuelos » ou « abuelas » ont avec eux.
Comme je portais Clarence dans mes bras nous avons été purifiés tous les deux, et une adorable « abuela » m’a offert une petite agathe de feu pour lui, disant que cela le protègerait. Le voilà donc bien équipé pour le premier printemps de sa vie !