Le Carnaval, tradition Chrétienne très développée au Moyen-âge et qui marque le début du Carême, est une forme de rituel de catharsis visant à apaiser des tensions sociales par un moment de liberté morale. Pendant quelques jours et selon des codes propres à chaque pays, un certain nombre de barrières sociales sont ouvertes et les mœurs se relâchent, permettant une explosion festive où toute la population s’adonne à des activités ludiques à forte portée symbolique. Le tout dans un contexte, là encore bien codifié, permettant souvent soit un brassage social sans distinction de classe, de genre ou de race, soit une inversion où le serviteur devient le maitre, le pauvre devient le riche, etc.
Rio en est un exemple fantastique, puisque c’est réellement toute la ville qui participe au Carnaval, et c’est la classe populaire qui en est la Reine.
Si chacun pense d’abord aux paillettes et aux plumes des plantureuses danseuses de samba quand on évoque le Carnaval de Rio, ça n’a pas toujours été le clou de son spectacle. Son succès vient d’une tradition de plusieurs siècles qui a évoluée avec le pays pour aujourd’hui devenir ce spectacle époustouflant des défilés des écoles de Samba et cette ambiance vibrante des rues de la ville au son des Blocos.
Pour expliquer comment il est apparu, je vous propose un retour en arrière sur les origines du Carnaval de Rio tel que nous le connaissons.
Dès le XVIIIeme siècle le Carnaval Brésilien était une grande fête (comme tout pays catholique qui se respecte), et comportait principalement la pratique, d’origine Portugaise, de l’« Entrudo ».
L’ « Entrudo », concept que j’aime beaucoup, était une tradition de jeux et blagues potaches pratiquée par toute la population. L’idée était de surprendre les passants ou visiteurs ou même ses proches en leur lançant, selon la situation, des œufs, de la farine, des fruits bien mûrs ou des ballons remplis d’eau et autres liquides (parfois douteux). Ce qui était bon enfant au sein des maisons où on se lançait gentiment des « limões de cheiro » (petites balles de cires emplies d’eau parfumée), devenait de véritables batailles rangées entre les quartiers populaires, avec des tirs nourris de fruits pourris, farine collante, eau putride des égouts ou même directement urine. Le tout accompagné de chants hauts en couleur et parfois d’empoignades un peu musclées. Un bel exutoire pour toutes les tracasseries et ressentiments accumulés pendant une année de servitude.
Vous imaginez sans peine que l’élite condamnait fortement ces pratiques barbares et violentes, même si, séduits par ce vice, ses jeunes les pratiquaient quand même en cachette (et même parfois les moins jeunes camouflés derrière leurs fenêtres à persiennes). Selon la légende, l’Empereur Dom Pedro II lui-même aurait organisé certaines de ces blagues dans son palais de Petropolis. On l’imagine bien caché dans une galerie avec sa lance-à-eau pleine du contenu de son pot de chambre attendant le passage d’un de ses ennuyeux ministres ou autre confesseur.
Les autorités, soucieuses de maintenir une forme d’ordre dans ces moments de débordements croissants, (Selon d’autres historiens, ce serait l’indépendance du Brésil en 1822 qui aurait mis fin à ce qui était perçu comme une « tradition coloniale » pour ouvrir le champ à une nouvelle forme de carnaval) pacifièrent les batailles du Carnaval à l’aide de bal et de défilés rassemblant les fêtards en différents groupes représentant les quartiers populaires, en particulier les « ranchos » et les « Cordões » tandis que les élites se regroupaient en Grandes Sociedades Carnavalescas.
Les « Cordões » (littéralement «cordons » en évocation à la farandole qui caractérisait leurs sorties), étaient un groupe de “folioes” (fêtards) qui défilaient en dansant et en chantant, parfois au rythme de percussions, parés de costumes grotesques ou fantastiques pas toujours du meilleur goût. Là encore, la mauvaise réputation de certains de ces fêtards aux costumes « indignes d’une société civilisée » (dixit les journaux bien pensants) amena les « cordões » à tomber peu à peu en désuétude, pour devenir soit des « blocos », groupes de musiques et de danseurs avec un thème commun suscitant des défilés improvisés dans les rues (« blocos » qui existent encore de nos jours), soit des « ranchos » plus structurés.
Les « ranchos » étaient quant à eux des cortèges plus organisés autour d’un thème, avec des chars, des musiciens, un Roi et une Reine, des danses (souvent pleines d’influences Africaines) et même des marches composées pour l’occasion, les « marcha-ranchos » que jouaient leurs fanfares. Ils avaient leur propre drapeau et les cortèges étaient précédés du couple dansant de la « Porta-Estandarte » (porte-étendard) et du Mestre-Sala (Maitre de cérémonie), qui sont encore aujourd’hui des acteurs clés du défilé traditionnel des écoles de Samba. Les différents « ranchos » défilaient déjà en compétition les uns avec les autres, générant une émulation créative extraordinaire.
L’élite, qui voulait aussi profiter du carnaval mais toujours de son côté, se rassembla en « Grandes Sociedades Carnavalescas », qui organisait des défilés avec des chars allégoriques et des costumes somptueux, ainsi que des bals, parfois de charité, où se dansait Polka, valse et menuet. Ces sociétés sont par la suite devenues le « Club Democraticos », lieu de fête populaire où on peut encore aujourd’hui apprendre les danses de salon.
Le Carnaval restait donc une des fêtes principales de la ville, avec des dizaines de milliers de personnes dans les rues pour assister aux défilés.
Tous ces éléments mélangés ont permis l’apparition, dans les années 20, des premières « Ecoles de Samba ».
Le nom « école » de Samba provient tout simplement du lieu où un des « bloco » de Rio, du nom de « Deixa Falar » (littéralement “laisse parler”), se rassemblait pour répéter, juste à côté d’une école. Ce bloco, constitué de musiciens de Samba, décida d’innover et de défiler et danser au son non pas des traditionnelles « marcha-ranchos » (avec tous les instruments d’une fanfare), mais au son de la samba, une musique inspirée des esclaves Africains, constituée majoritairement de percussions et de chants, sans aucuns instruments à vent.
Ce défilé fut un tel succès que dès l’année suivante d’autres groupes similaires surgirent, donnant lieu à la première compétition de défilé de Samba, avec déjà 20 groupes en lice. Les critères à remplir commencèrent à tisser la tradition actuelle : avoir au moins 100 participants, composer une musique de samba spéciale pour l’occasion et inclure dans le défilé des « baianas » (femmes aux costumes à grandes jupes inspirés de la région Nordeste du brésil). Les premiers vainqueurs, Mangueira et Portela (Osvaldo Cruz) sont encore aujourd’hui parmi les principales écoles de Samba de Rio.
Ces premières compétitions eurent un écho si retentissant qu’en peu de temps le concours devint le plus important du Carnaval de Rio (et même du Brésil), et les écoles de Samba se multiplièrent pour se rassembler dans l’Uniaõ Geral das Escolas de Samba dans les années 30. Grande attraction de la ville, le concours devint alors “officiel”, c’est-à-dire financé par les pouvoirs publics, à partir de 1935, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Le défilé des écoles de Samba prit tant d’ampleur qu’il effaça les Ranchos et Grandes Sociedades Carnavalescas, non sans en intégrer de nombreux éléments qui sont aujourd’hui la base de la compétition traditionnelle.
Le Carnaval officiel s’ouvre par la remise des Clés de la ville au “Rei Momo” et à sa “Reina”, le Roi et la Reine du Carnaval, élus pour l’occasion. Le Roi Momo, choisi pour son caractère comique, sympathique et bon vivant (donc en général plutôt gras), vient aussi des années 30 et des débuts de la Samba. Son personnage fait allusion à la mythologie grecque où “Momos” incarne l’ironie et le sarcasme, et représente cet aspect irrévérencieux qu’incarnent les blocos . Le Maire de Rio remet donc son pouvoir entre les mains de ce Roi pour qu’il gouverne pendant les 4 jours de folie du Carnaval et ouvre le concours et les défilés.
Le Sambodrome de Rio, bâtiment unique au monde, a été bâti spécialement pour ce concours exceptionnel, permettant à des dizaines de milliers de personnes du monde entier de passer des nuits féériques au son de la Samba pour continuer la journée suivante à suivre les différents « blocos » dans toute la ville. Ce qui fait réellement de Rio un carnaval unique au monde.
C’est donc une expérience extraordinaire qu’on a pu vivre en arrivant à Rio, car cette année grâce (pour nous en tous cas) au Covid le Carnaval officiel avait été déplacé après les fêtes de Pâques.
Mais, pour remettre le Carnaval dans le quotidien de chacun, et à défaut d’oser se déguiser, je me dis que le retour de l’« Entrudo » pourrait détendre l’atmosphère de beaucoup d’immeubles ou entreprises. Qui n’a jamais rêver de lâcher une bombe à eau sur la tête de son chef ou du ronchon du 4ème ?
Le jour de la fête des mères, des pères, des enfants, …. un peu d’entrudo serait bienvenu. Le 1er avril qui relève du même esprit s’est affadi et aurait besoin de ce sel.
Merci pour nous emmener ailleurs dans ta vision de ce qui est.
Je t’embrasse
Papa