Le mythe d’Exu, “orisha” star du Candomblé Brésilien

Le Carnaval de Rio et son célèbre défilé, par delà le spectacle grandiose et la compétition stricte entre les écoles de Samba, est aussi un lieu d’expression sociale et populaire particulièrement prisé par les Cariocas. En effet les écoles de Samba, majoritairement issus des favelas, en représentent la culture au travers des thèmes choisis pour leur défilé. Beaucoup de ces thèmes, très engagés, font écho aux racines Africaines, au racisme ou à l’esclavage.

Le thème de l’école championne de cette année est « Fala Majete, as Sete Chaves de Exu » (parlez Majesté, les sept clés de Exu). Il vise à mettre en lumière Exu, une des divinités ou “orisha” les plus controversées du Candomblé, et dénoncer par là le racisme religieux. Voici donc quelques « clés » pour comprendre qui il est.

Exu sur son globe (son symbole) en tête du défilé de Grande Rio

D’abord il faut savoir que le Candomblé est la religion Afro-brésilienne (originairement du peuple Africain Yoruba amené en esclavage) qui a le plus perduré malgré la christianisation, grâce à une intelligente assimilation des saints Chrétiens aux « orishas ».

Dans la mythologie Candomblé, en effet, il y a un panthéon de dieux ou « orishas » qui n’a rien à envier à leurs confrères de la Grèce antique aussi bien par le nombre que par les histoires dignes des télénovela brésiliennes. Chaque « orisha » a des pouvoirs liés le plus souvent à des éléments naturels (le vent, les éclairs, la mer etc) et, comme les hommes qu’ils ont créés, ont des qualités et des défauts, avec des caractères et des comportements humains. Et donc des histoires à n’en plus finir. Ils s’aiment, se jalousent, se déchirent, s’allient, se reproduisent dans un tourbillon de mythes, avec, pour encore ajouter une couche de complexité, des retours dans le temps où un orisha peut être la version jeune ou vieux d’un autre orisha.

Le livre « Mythologie des Orishas » (que j’ai voulu lire mais sans grand succès car je me suis rapidement perdue dans ce panthéon labyrinthique), comporte plus de 300 mythes des différents Orishas. De quoi nourrir largement la tradition orale de ce culte. Culte qui est particulièrement vivace car dans cette religion chaque problème de la vie peut être résolu par un Orisha à condition de savoir lequel (et donc de se référer pour cela aux mythes) et de lui faire l’offrande (ou « ébo ») adéquat. Raison pour laquelle, discrètement cachés dans les robes des saints auxquels ils étaient assimilés, les orishas ont pu recevoir adoration et offrandes tout au long de la christianisation forcée des populations d’origine africaine.

Même Exu, qui pourtant n’était pas facilement associable à un saint et vous comprendrez vite pourquoi, a vu son culte se poursuivre et même s’amplifier, déguisé en Saint Antoine à Bahia ou en Saint Michel dans le centre-sud du Brésil. Exu est un des Orishas les plus vénérés et les plus puissants car il est le gardien de l’« Axé », l’énergie primitive qu’il apporte aux hommes, et il est le « messager », l’intermédiaire entre les hommes et les orishas. Il est d’ailleurs salué par la parole « Laroye », qui signifie « salut, messager ».

En effet lors de la création du monde il a été chargé par Olofim, le Dieu des Dieu, d’aller explorer la terre afin de déterminer si elle était habitable par les hommes et par les Orishas. Il a tellement aimé la terre qu’il a décidé de s’y établir de manière permanente, devenant ainsi l’orisha le plus proche des humains, l’interface entre les hommes et les autres orishas. Pour cela, c’est le dieu des chemins, des croisements et de la communication. Ses couleurs, le rouge et le noir, signifient la liaison entre l’obscurité et la lumière, entre le visible et l’invisible, entre le matériel et le spirituel.

Il est donc incontournable dans le Candomblé. C’est celui qu’il faut honorer et satisfaire en premier (par des offrandes généreuses, bien entendu) si l’on veut que l’orisha interpellé reçoive positivement notre requête et y donne suite. Gare à celui qui oubliera Exu, il lui en coûtera non seulement sa requête mais même sa fortune ou sa vie car Exu est un grand revanchard et ne se laisse pas facilement oublier. Ce qui a posé quelques problèmes aux missionnaires qui auraient aimé le voir disparaitre…

L’acteur représentant Exu lors du défilé de Grande Rio a Sambodrome (Photo by Buda Mendes/Getty Images)

En effet son histoire, ou plutôt ses histoires, sont celles d’un esprit malicieux, plein d’énergie et d’humour, au caractère bien trempé, qui aime par-dessus tout semer la zizanie quand l’ordre est trop établi. Coup de pied dans la fourmillière pour remettre un peu de chaos dans une famille, une affaire ou un royaume qui aurait oublié de lui faire des offrandes ou qui simplement se trouve sur son chemin quand il est d’humeur joueuse. Ses facéties sont donc légendaires. La langue bien pendue, il ne rate également pas une occasion de faire entendre sa voix pour railler, pour convaincre, pour séduire ou pour tromper. Pour autant, c’est aussi un des dieux qui a le plus grand sens de la justice et sert souvent à corriger les hommes ou leurs défauts. Ce qui en fait une des figures les plus controversées du Candomblé. Son nom signifie d’ailleurs “sphère”, symbole représentant à la fois l’ambiguité et l’infini, un personnage sur lequel on n’a pas d’emprise et en perpétuel mouvement.

Exu lors du Carnaval 2022, sortant de sa sphère pour effectuer la danse de la “commissão da frente” – voir article sur le défilé du Sambodrome

Autre trait de personnalité qui ne fait pas l’unanimité, c’est son appétit. Le mythe d’Exu veut qu’à sa naissance il ait dévoré tout ce qui passait à sa portée dans une frénésie insatiable, mangeant tout ce qui se présentait à lui puis allant même ravager les récoltes, générant une terrible famine parmi les dieux. Toujours insatisfait, il a fini par dévorer sa propre mère. Il a fallu que son père, Olodumaré, le coupe en petits morceaux pour qu’il accepte de rendre ce qu’il avait dévoré (y compris sa mère, tout va bien). Mais sa faim est restée. Très porté sur la bonne chère et la boisson, il a donc toujours un appétit gargantuesque, et c’est pour cela qu’il faut le nourrir abondamment pour obtenir ses faveurs. Ses offrandes préférées sont le poulet, l’igname, la farofa (farine de manioc frite) et la cachaça ou tout autre alcool fort.

Mais son appétit ne se limite pas au boire et au manger. Il a un aussi grand appétit sexuel. Il est donc bien connu pour ses frasques avec les femmes ou les orishas féminines. Il est d’ailleurs honoré comme une divinité de la fertilité masculine et de la virilité. En un mot, il aime ce qui est bon, et l’affiche joyeusement. Il est représenté portant un bâton appelé « Ogo » en forme d’immense phallus, avec des décorations de calebasses représentant les testicules.

Sans commentaire

Et donc vous vous en doutez ça n’a pas plus aux bons missionnaires qui ont découvert son existence et ce caractère irascible, indécent, luxurieux, bien à l’encontre des principes qu’ils voulaient inculquer. Pour éviter tout lien avec leurs saints ils se sont donc empressés de l’associer au Diable, et de démoniser toutes les histoires le concernant afin d’interdire absolument son culte. Ses couleurs rouges et noires et sa représentation phallique auraient facilement permis de noircir son image et de le faire sortir du panthéon Candomblé, si Exu n’avait pas plus d’un tour dans son sac.

D’abord parce que cette assimilation au « mal absolu » n’a pas de sens dans une religion où il n’y a pas de dichotomie entre le mal et le bien, chaque orisha ayant des aspects positifs et des aspects négatifs, et la force primitive, l’Axé, étant neutre, bénéfique ou maléfique selon l’usage qu’on en fait.

Ensuite parce que sa position fait de son culte un passage obligé pour obtenir n’importe quelle faveur, et que les adeptes du Candomblé ont beaucoup trop peur de se l’aliéner.

Enfin parce que Exu, par son caractère et ses défauts, est en fait le plus humain des dieux, et donc le plus attachant. Surtout que ses traits de personnalités sont un bon miroir de l’archétype Brésilien. Impossible donc de le diaboliser, ou c’est la moitié de la population qui y passe !

Exu a donc prospéré et continué à faire des adeptes, jusqu’à devenir le Roi du Carnaval 2022, profitant de la zizanie de ces jours de liesse pour l’emporter sur tous les autres thèmes proposés cette année.

Et comme tout mythe est ancré dans la réalité, sachez qu’Exu a aussi des « fils » et des « filles », dont vous faites peut-être partie, car dans la religion Candomblé chacun reçoit un Orisha à sa naissance auquel il est rattaché. Voici comment les reconnaitre :

Les « filhos » d’Exu sont eux aussi des personnes pleines de vie, joyeuses, sensuelles, intenses, charismatiques et ayant un grand sens de la justice. Ils sont caractérisés par un esprit rebelle, qui aime jouer et s’affranchir des règles imposées par la société. Ils sont espiègles, enjoués, intelligents, avec une verve et une vivacité d’esprit qui en fait d’excellents communicants. Leur appétit de vivre, leur générosité et leur sens de l’amitié leur attire de très nombreux amis, quand leur insolence peut leur créer des ennemis. Provocateurs, contradicteurs, blagueurs, ils ne perdent pas une occasion de plaisanter et de mettre mal à l’aise leur audience. Rois de la fête, ils adorent se travestir et choquer par leur humour sans limite. Pour autant leur grand cœur fait qu’ils sont toujours prêts à aider leur entourage pour résoudre tout type de problème (vous connaissez les annonces classiques de marabou « problèmes d’argent, santé, bonheur, réussite sexuelle, retour de l’être aimé… ») ou pour défendre une cause, ce qui en fait d’excellents avocats.

Si vous pensez donc être un fils ou une fille d’Exu, n’oubliez pas de lui faire des offrandes en buvant à sa santé.

Laroye !

A défaut d’être fils, nous on est fan !

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