Le Brésil, pays de fête par excellence, n’a pas son pareil pour trouver des raisons de danser, chanter et festoyer. Le mois de Juin, qui correspond au mois de Décembre pour nous, est donc un mois particulièrement festif, au point qu’il y a des fêtes quasiment en continu que l’on nomme les « Festas Juninas » (mélange de « junho » et de « Joaoninas », en hommage à la Saint Jean- Joao en Portugais).
Ces « festas juninas », qui culminent le soir de la Sao Joao (Saint Jean) sont dans certaines régions, en particulier Bahia, les deuxièmes plus grandes festivités après celles du Carnaval.
Qu’est-ce qu’une « festa junina » ? C’est un joyeux mélange de traditions importées d’Europe pour commémorer le solstice d’été (ou plutôt d’hiver ici) et plus largement pour célébrer les récoltes, la fertilité, le retour de la pluie ou le mariage des cultures. Je tente ici de détricoter ce mélange pour vous en allant retrouver ses origines.
Historiquement, c’est bien la Saint Jean d’été Européenne (elle même adaptée des fêtes païennes du solstice) qui a été l’origine de ces fêtes, avec dans les campagnes les grands feux autour desquels on saute et danse, et les ballons-lanternes qu’on envoie dans le ciel comme c’est encore le cas à Porto pour la Sao Joao (autre tradition incontournable dont je recommande chaudement l’expérience). C’est donc d’abord une fête rurale, qui correspond au Brésil à la récolte du maïs dans le Nord.
L’arrivée de la cour du Roi du Portugal au début du XIXème a ajouté un aspect plus grandiose à ces fêtes, que la cour a immédiatement adaptées pour donner des somptueux bals où se dansait le quadrille en grande tenue.
En effet ce qu’il faut savoir c’est que le brésil a été un empire indépendant pendant près d’un siècle avant de devenir une république et que la présence d’une cour a eu un effet important sur sa culture. Une brésilienne m’a expliqué, un peu amère, que le Brésil était aussi festif et aussi pauvre parce que c’était devenu au XIXème siècle la grande « salle des fêtes » de la cour qui s’était échappée de l’ennuyeux Portugal pour s’amuser dans ce grand pays, et n’avait donc d’ambition pour cette nation que de s’assurer qu’elle pourrait pourvoir à leurs plaisirs (avec pour conséquences, selon elle, un pays pas assez développé mais qui sait merveilleusement s’amuser).
En tous cas cette cour a permis aux fêtes de la Saint Jean de prendre une nouvelle dimension, car la cour et ses grands bals à l’Européenne avec robes à panier, belles coiffures et quadrille rangé a inspiré le reste de la population. Leur danse s’est rapidement popularisée pour donner le « quadrilha » qui se danse encore aujourd’hui, et les tenues des dames de la cour ont inspiré ces dames du peuple, donnant lieu à ces tenues typiques si colorées.
Une festa Junina comporte donc quelques éléments incontournables qui sont autant de « pièces rapportées » que les époques et les peuples ont cousues pour en faire cette fête traditionnelle.
Les costumes tout d’abord, sont un mélange de champêtre et de chic. Pour les femmes, c’est assez surprenant, car le résultat évoque plutôt une bavaroise ou une batave qu’une brésilienne. La base est une robe ou un tablier en « Chitas », un tissu traditionnel de coton aux couleurs vives imprimé de motifs fleuris, dont l’origine se retrouve dans les fichus du Portugal et les boubous africains. La robe “junina” s’inspire dans sa coupe des robes à panier du XIX : un corsage généreusement décolleté aux courtes manches bouffantes et une grande jupe à volant. Comme les tissus étaient « simples », les paysannes ajoutaient à défaut de dentelle tous les rubans qu’elles pouvaient trouver, pour un résultat débordant de couleurs. Et pour pouvoir danser plus aisément, ces dames (des champs, pas de la cour) ont eu la bonne idée de raccourcir les jupes (jusqu’à une longueur actuelle qui frise l’indécence, mais comme on est au Brésil tout va bien). Aujourd’hui on porte encore ces petites robes colorées (je me suis empressée d’en trouver une), surtout dans les écoles où il y a toujours une « festa junina » avec un déballage de rubans dans les cheveux et une superposition de couleurs qui fait parfois mal aux yeux. Le maquillage inclut des tâches de rousseur, dont je n’ai pas pu trouver l’explication (elles pourraient selon moi être plutôt une évolution des “mouches” que les femmes de la noblesse ajoutaient sur leurs visages).
Pour les hommes des campagnes, il s’agissait déjà d’avoir un pantalon et une chemise qui ne soit pas un panier percé. Pour cela ils rapiécaient avec des morceaux de « chita » leurs pantalons et leurs vestes, donnant ainsi de la gaité à leurs tenues, qu’ils complétaient d’une chemise à carreaux et d’un chapeau de paille. Aujourd’hui encore les hommes vont donc ajouter des pièces de tissu sur leurs pantalons impeccables et se noircir quelques dents pour se donner un air « caipira » (mot d’origine Paulista qui veut dire “rustique” ou “beauf”)que leurs mains parfaites démentent aussitôt. Autant dire que le chic n’est pas le bienvenu dans ces fêtes-là.
Dans les rituels de la festa junina il y a en effet le traditionnel « casamento caipira » (mariage des beaufs), une mise en scène théâtralisée où se joue l’histoire comique d’un mariage arrangé populaire. Le sens de ce rituel a pour origine Saint Antoine, célébré le 13 Juin, qui est le protecteur des amoureux et des mariages (l’équivalent de la Saint Valentin au Brésil est donc la veille de la Saint Antoine). Dans ce sketch hilarant, les personnages hauts en couleurs accentuent le ridicule de la situation par des accents à couper au couteau et toutes les erreurs de grammaire possible, au plus grand plaisir de l’audience qui se tape les cuisses de rire. Voilà en quelques lignes la scène :
La mariée, peu enthousiaste, arrive avec sa mère, qui la félicite d’avoir trouvé un mari. La mariée lui rétorque en pleurnichant que son père était saoul quand il a promis sa main et qu’il s’est trompé, que son promis n’est donc ni beau ni riche et d’ailleurs elle ne veut pas l’épouser. Là-dessus le père arrive et demande où est le fiancé. Sa promise répond qu’il est sûrement trop saoul lui aussi et qu’il ne va pas venir, et elle fait semblant de s’évanouir. Le père ne se laisse pas démonter et envoie la garde le chercher. Le pauvre fiancé, se débattant comme un beau diable, est amené entre deux gardes. Il a souvent une corde au cou, pour montrer qu’il s’est bien fait avoir. Quand il arrive, le père se gratte la tête et demande qui est cet homme. S’ensuit une discussion hilarante entre le fiancé et le père sur le quiproquo (et la boisson) qui a amené cette situation, le père voulant conclure de force le mariage que personne ne souhaite sous prétexte que tout est prêt pour cela. Il doit d’abord rétablir l’ordre devant les interventions outragées des belles mères qui se prennent le bec sur les défauts respectifs de leur futur gendre/bru. Finalement amené devant l’autel, le futur fait mine de vouloir s’échapper et y parvient avant de prononcer les vœux. Le garde le ramène et se place en face du couple pendant toute la cérémonie jusqu’à son heureuse conclusion, lançant le signal de départ des joyeux quadrilles.
Car l’autre aspect incontournable de la fête est la danse, le fameux « quadrille ». Directement inspiré du quadrille français, il s’est un peu « coloré » pour refléter l’âme plus sautillante et chaloupée de la population locale, à grand renfort de jupons secoués, de rondes et de claquements de pieds. Comme les sambas de Carnaval, le « quadrilha » donne lieu à de magnifiques compétitions entre groupes de danse dans le Nordeste, comme vous pouvez l’admirer ici. Mais c’est une danse ouverte à tous et lors les bals populaires, des maitre de danse sont là pour mener la danse, avec des noms de pas qui rappellent bien leur origine : “anarriê”, “ampassâ”, “tour”… Cette danse était jusqu’à récemment enseignée à l’école, les enfants effectuant une démonstration de fin d’année devant leurs parents. Voici une vidéo pour vous donner une idée du quadrille populaire.
La tradition inclut aussi bien entendu la gastronomie, avec là aussi un mix culturel intéressant, puisqu’on servira aussi bien du vin chaud qui ne déparerait pas dans un marché de Noël Alsacien que de la soupe de maïs et de saucisse, du pop-corn, des cacahuètes caramélisées, des pignons d’araucaria et le “caldo verde” (soupe traditionnelle portugaise). Historiquement c’est surtout le maïs qui était mis à l’honneur sous toutes ses formes puisqu’il s’agissait dans le Nordeste de célébrer sa récolte.
Et enfin il y a le lieu, appelé « Arraia » en rappel aux grandes tentes de paille du Nordeste où ont lieu ces fêtes, dont la décoration, avec des inspirations rurales pour rappeler les origines campagnardes de ces festivités, tranche souvent avec l’environnement urbain de ces festivités. Au milieu d’un centre commercial ou d’un salon de fête au design moderne, il y a des bottes de foin ou leur suggestion avec de la fausse paille, des paniers en osier, des nappes à carreaux ou à fleur et bien sûr les multiples banderoles de couleurs vives qui encadrent le panneau « Arraia » pour bien rappeler que la scène est théoriquement placée sous un toit de palme. On trouve aussi, en particulier dans les fêtes « privées » (qui n’ont donc plus rien de populaire) l’incontournable panneau « barraca do beijo » (barraque du baiser) pour aller s’y prendre en photo (ou plutôt en selfie) et de grands buffets chargés de mets variés disposés artistiquement (et gare à celui qui va y toucher avant que toutes les photos instagram soient prises). Dans les Arraia populaires, il y aura des stands qu’on retrouverait bien dans une fête foraine de chez nous, avec pêche au canard, course en sac et autre chamboule-tout.
Oscar était tout heureux de voir que son école organisait une fête, et on a eu la chance de participer aussi à des fêtes privées, ce qui a permis de vérifier que les origines de ces festa junina n’ont pas aussi bien survécu que leur manifestation. Mais ça permet toujours de perpétuer la tradition pour les prochaines générations…