Le monde fantastique des Alebrijes

Des monstres fantastiques aux couleurs éclatantes, qu’on trouve dans toutes les maisons et dans les cimetières, voilà une tradition locale relativement récente mais qui a pris de l’ampleur car encore une fois elle s’ancre dans les traditions millénaires.

Les « Alebrijes » sont des figurines de bois ou de papier mâché finement peintes de motifs colorés, représentant des animaux réels ou imaginaires aux couleurs extravagantes. Le petit village d’Arrazola, près de Oaxaca, est devenu mondialement renommé pour cet art. Et si c’est devenu une tradition familiale de les élaborer, les hommes sculptant le bois et les femmes peignant avec soin les motifs colorés, leur origine n’a rien de local. Le nom lui-même ne fait référence à aucune étymologie particulière.

Tout a débuté en fait avec un rêve. C’est celui de Pedro Linares, un fabricant de Pinata (l’incontournable décoration d’anniversaire pleine de bonbons sur laquelle on tape, vous en avez un exemple ici), qui survivait bon an mal an à Mexico avec ses figures en carton et papier maché. Un jour il tomba malade et fut pris d’une forte fièvre. Comme il n’avait pas les moyens de payer ses soins, la fièvre se transforma bientôt en délire, et sa famille impuissante voyait déjà sa fin arriver. Au plus fort de ses délires, il eut une vision. Il se trouvait dans un bosquet vert et calme quand il vit venir à lui dans un défilé onirique toutes sortes d’animaux imaginaires qui se transformaient et se mêlaient, chiens ailés, tigres à tête d’aigle ou autre poulet aux cornes de taureau, tous avec des motifs de couleurs vives. Et une foule de voix sorties de nulle part criait le mot incongru :« Alebrijes ». Un homme vint alors à lui et lui indiqua la sortie de ce monde merveilleux, disant que son heure n’était pas encore venue.

Il s’éveilla alors et peu à peu la fièvre et le danger s’éloignèrent. Profondément ému par ce qu’il avait vécu et par sa guérison, il décida de donner vie à ces animaux, et réalisa ainsi avec son matériel, c’est-à-dire du papier maché et de la peinture ces montres fantastiques et colorés. Ces œuvres eurent beaucoup de succès et la demande s’accrut, au point d’attirer l’attention d’autres artistes, dont Frida Kahlo et Diego Riviera qui lui commandèrent des Alebrijes, et bientôt la réalisation « d’Alebrijes » devint un art à part entière, que l’on s’arrachait dans le monde entier. Don Pedro Linares et sa famille connurent donc de belles années avec ces œuvres, couronnées par le Prix National des Sciences et des Arts peu de temps avant que Don Pedro parte rejoindre pour toujours ce bois serein et ses animaux magiques qu’il avait vu en rêve.

L’art des Alebrijes, qui s’est répandu comme une trainée de poudre, s’est particulièrement développé dans l’état de Oaxaca. Un artisan d’Arrazola, Manuel Jimenez, eut dans les années 50 l’excellente idée de remplacer le papier maché, fragile et difficile à conserver, par du bois de Copal sculpté, donnant alors naissance à la tradition des Alebrijes d’Arrazola, qui fait aujourd’hui partie intégrante du patrimoine culturel du Oaxaca.

Au-delà de leur légendaire création, une grande partie du succès des Alebrijes s’explique par leur lien avec la mythologie pré-hispanique où les animaux, fantastiques ou réels, jouent un rôle important : les enfants Aztèques et Mayas sont en effet tous pourvus d’un « animal totem » qui sera toute leur protecteur et leur guide dans les différents mondes. Cet animal est déterminé par la nature, c’est lui qui « choisi » celui qu’il va protéger : le père trace un cercle autour de la maison du nouveau né et couvre l’intérieur de sable, et le premier animal qui viendra laisser ses traces sur le sable sera son animal totem. Les Alebrijes en sont donc souvent une représentation privilégiée.

Le bois de Copal dans lequel ils sont sculptés est également un bois sacré, sa résine étant brûlée lors des cérémonies Aztèques.  Et en plus de la naissance, c’est avec la mort que les « joyeux » Alebrijes sont associés, puisqu’ils sont souvent offerts aux défunts et déposés sur leur tombe lors du Dia de los Muertos, là encore en lien avec les rites pré-hispaniques festifs d’hommage aux morts.

La visite des « bestiaires » des ateliers d’Arrazola permet en tous cas de réaliser le caractère sacré de cet art que des familles entières pratiquent depuis maintenant plusieurs générations avec un soin infini, le détail des décorations des animaux de bois étant impressionnant, rivalisant de forme et de couleurs. Et si vous vous sentez un artiste en herbe vous pouvez même réaliser votre propre Alebrije.

Pour le clin d’œil aux Aztèques, nous avons laissé Oscar choisir son animal totem parmi une foule d’animaux divers et variés, et il a choisi un coyote bleu magnifiquement fleuri, animal bien local s’il en est, qui aurait pu laisser ses traces sur le sol près de notre hutte si on avait vécu ici il y a quelques siècles…

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