Le peuple Bribri est une des rares communauté indigènes qui existe encore au Costa Rica. Ce pays peu peuplé a en effet une histoire très récente : simple annexe du Guatemala pendant trois siècles, ce n’est qu’au XIXeme qu’il va vraiment prendre son essor, avec le développement de l’agriculture pour l’exportation et donc l’arrivée massive de colons et d’esclaves pour gérer les plantations extensives de banane et de café (au détriment des multiples agricultures vivrières traditionnelles, dont le chocolat comme nous allons le voir).
Le peuple Bribri, repoussé dans les montagnes et forcé à contribuer à la politique agricole avec leurs terres, a néanmoins su conserver une grande partie de sa culture et la partage aujourd’hui volontiers, comme on a pu en faire l’expérience en allant dans une ferme de la communauté. Le patriarche, ou plutôt le mari de la matriarche car les femmes ont le pouvoir dans cette culture, fier de ses racines, nous a ouvert les portes de sa maison et permis d’expérimenter tout le processus de fabrication traditionnelle du cacao, appelé Tsuru en langue Bribri.(le mot « chocolat » vient du Mexique, de la langue pré-hispanique Nahuatl « Xocoatl », qui signifie « eau amère»)
Et en visitant les champs de cacaotier, il nous a aussi raconté la belle légende de l’apparition du Cacao que je vous partage ici. Le Cacaotier est en effet une plante sacrée pour les Bribris, qui est liée à la création du monde et qui est utilisée non pas comme aliment principal mais comme aliment sacré et symbolique, et donc au cœur de tous les rituels et les cérémonies (mariage, enterrement, rite de purification etc).
La cosmogonie Bribri comporte un Dieu principal, Sibö. Lors de la création du monde, ce Dieu, proche des hommes, se mit à la recherche d’une épouse qui pourrait l’aider dans sa mission de subvenir aux besoins des hommes sur la terre.
Pour cela il rencontra trois jeunes femmes, Solo’, Wërö et Tsiru, des soeurs, dont l’une était très belle, l’autre normale et la troisième laide.
Mais avant de les rencontrer il pris l’apparence d’un vieillard pauvre, habillé de loques, couvert de poussière, mal coiffé, et c’est sous cet aspect qu’il alla voir successivement les trois sœurs.
La première, Solo, le dédaigna aussitôt, lui disant qu’il était repoussant, et qu’elle ne voulait pas d’un homme aussi laid pour époux.
Il alla alors voir la seconde, Wërö. Elle aussi, en le voyant, lui dit immédiatement de passer son chemin, se moquant de son aspect si sale et si peu attrayant.
La légende dit que pour mieux montrer leur dédain, les deux sœurs attachèrent leur hamac très haut, le plus près possible du plafond, pour éviter que le vieillard puisse les atteindre.
Le Dieu alla finalement voir la troisième sœur, Tsiru. Et loin de le repousser elle l’accueilli avec gentillesse, et l’accepta pour époux. Il lui dit alors que pour la remercier il lui offrait un fruit extraordinaire, le Cacao, avec lequel elle pourrait aider à améliorer la vie des hommes. C’est elle qui est devenu le Cacaotier “Tsuru” qu’on cultive encore aujourd’hui.
A l’aide de ce fruit merveilleux elle prépara un bain pour Sibö, qui en ressortit purifié, sous la forme d’un magnifique jeune homme. Dans une des versions de la légende, que je préfère évidemment, Tsiru prit ensuite le même bain et elle aussi devint une splendide jeune femme.
Les deux sœurs, voyant cela, changèrent immédiatement d’avis et tentèrent de séduire le beau jeune homme, mais il était trop tard. Sibö avait choisi Tsiru, et n’avait pas pour autant oublié l’accueil que ses sœurs lui avaient réservé. Pour les punir de leur orgueil, il les transforma elles aussi en cacaotier, mais d’une espèce silvestre, l’une avec des fruits très peu nutritifs, l’autre avec des fruits à l’odeur tellement désagréable que dans les deux cas les hommes les dédaigneraient comme elles avaient dédaigné le dieu. Et pour se moquer de leur tentative d’échapper au Dieu avec leur hamac, il les fit également pousser très haut, rendant leurs fruits inaccessibles alors que leur sœur restait au niveau des hommes, offrant facilement ses cosses fertiles.
Pour mieux montrer l’importance de ce cadeau aux hommes, il leur donna des instructions précises sur les soins à apporter à sa “femme chocolat” et l’utilisation de son fruit. Tout d’abord, il est interdit d’utiliser son bois, de couper ses branches ou de brûler ses feuilles. Ensuite il doit être planté dans un endroit dédié, avec suffisamment d’ombre et d’eau, et loin de plantations de riz ou de maïs qui pourraient le déranger dans sa croissance.
Enfin, cet arbre étant une femme, il revient principalement aux femmes de s’en occuper, surtout la partie la plus délicate de transformation du fruit en pâte de cacao, qui ne peut être réalisée que par une femme « initiée » à ce rôle sacré, qui se transmet de génération en génération. Les grains de cacao, récoltés à la main selon le calendrier lunaire, sont mis à fermenter 7jours puis à sécher 7 jours dans un endroit dédié.
Ils sont ensuite conservés ainsi, sous forme de grains séchés, servant de cadeaux précieux ou de monnaie d’échange. Ils ne peuvent être utilisés qu’exceptionnellement, lors de cérémonies ou pour honorer un invité de marque. La « prêtresse du cacao », celle qui est exclusivement en charge de sa préparation, va alors torrefier les grains, les écraser, les séparer de leur cosse puis les moudre pour obtenir la fameuse « pâte de cacao » (délicieuse ainsi avec des bananes cuites au feu de bois).
Cette pâte, mélangée avec de l’eau, permet de réaliser la boisson traditionnelle qu’on appelle « chocolat chaud », mais qui se fait sans sucre ni lait dans sa version originale.
Mélangée avec encore plus d’eau, elle permet les « bains de purification » qui sont utilisés lors des rites de passage comme les naissances, les premières règles chez une femme, les mariages, le lavage du corps des défunts…
Et séchée, elle devient une tablette de chocolat “100%” qu’on peut déguster ainsi pour les palais les mieux exercés.
Mais comme il l’a montré avec les deux sœurs orgueilleuse, gare à celui qui manquerait de respect au cacao ou à la « femme chocolat »: il sera frappé d’infirmité ou même de mort. On ne plaisante pas avec les Dieux ! A mon grand plaisir ce respect s’est étendu à toutes les femmes dans cette société, au point qu’ils n’y a qu’elles qui peuvent hériter des terres, créant ainsi des communautés matriarcales.
Si vous voulez devenir une prêtresse du Cacao parce que vous adorez ce cadeau des dieux, et j’avoue que c’est très tentant, la démarche n’est pas si simple : il faut faire dès sa plus tendre enfance de nombreuses années d’apprentissage auprès d’une prêtresse de la communauté Bribri avant de passer un « examen » auprès du chaman qui déterminera si vous avez vraiment le « don » ou pas.
Autant dire que finalement, on va se contenter de le déguster 😊
Bravo Helene pour cette si belle histoire! Je me rêve en prêtresse du cacao tu peux me pistonner stp?
Oscar si concentré et si sérieux déjà, quel bel apprentissage!🤩
Merci Hélène, tu serais parfaite dans ce rôle !